mardi 19 janvier 2016

Chronique lecture #26 - Rien ne s'oppose à la nuit / Delphine de Vigan



Editeur : JC Lattès
Prix : 19 €
Nombre de pages : 437 p.
Genre : Contemporain, Biographie
Résumé :

Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l’écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd’hui je sais aussi qu’elle illustre, comme tant d’autres familles, le pouvoir de destruction du Verbe, et celui du silence. 

Rien de s'oppose à la nuit fait, je trouve, partie de ces lectures que tout le monde plus ou moins à lu, et qui surtout, fait consensus. Les critiques s'accordent sur l'histoire, l'écriture, sur la beauté de ce roman. Moi, je ne l'avais toujours pas lu et il était temps que j'y remédie, surtout que je lis de plus en plus de contemporains, genre qui contrairement à ce que je pensais, me plaît vraiment.

Cet ouvrage c'est la biographie de la mère de Delphine de Vigan, ses déboires, ses aventures, ses erreurs. C'est le récit d'une famille frappée par son lot de malheurs qui laisseront une emprunte sur chacun de ses membres, notamment sur Lucile à qui la vie aura laissée des marques indélébiles.

L'auteure nous ballade donc dans la vie de sa mère, de sa petite enfance à sa mort (ce n'est pas un spoiler, on le sait dès la première page). On apprend à connaître Lucile comme si elle était une amie ou un membre de notre propre famille. Avec ce roman, nous sommes face à l’exutoire d'une femme qui a besoin de comprendre qui a été sa mère, comment elle a vécu, d'où venaient ses troubles. 

Lucile est forcément quelqu'un qui nous touche à un moment où à un autre de l'histoire; parce qu'elle est humaine, parce qu'elle est multi-facettes, parce que la vie n'a pas été douce avec elle. Je pense que chacun peut se reconnaître dans quelques traits de sa personnalité. 

"Lucile avait des lubies, des phobies, des coups de gueule, des coups de cafard, aimait prononcer des bizarreries - auxquelles elle-même croyait plus ou moins - passer du coq à l'âne et de l'âne au coq, se mettait martel en tête, lançait des piques, frôlait les limites, jouait avec le feu. Lucile aimait naviguer à contre-courant, mettre les pieds dans le plat, se savait sous surveillance, défiait parfois notre regard, s'amusait à nous alarmer et revendiquait sa singularité.
Lucile n'aimait pas la foule, le nombre, le monde, les grandes tablées, fuyait les mondanités, se laissait apprivoiser en tête à tête, en petit comité, ou bien au court d'une promenade, dans le mouvement de la marche. Lucile restait secrète sur ses sentiments, ne livrait jamais le plus intime, réservait à quelques-uns le fond de sa pensée. Elle était ce mélange étrange de timidité maladive et d'affirmation de soi."

Rien ne s'oppose à la nuit, c'est aussi, en toile de fond, le parcours de l'auteure dans l'écriture de ce roman, ses doutes quant à la restitution fidèle de la vie de sa mère, ses peurs quant aux réactions des membres de sa famille, ses envies. Delphine de Vigan nous expose la difficulté qu'est la collecte du matériau énorme que représente la vie d'un individu. Elle se trouve confrontée aux versions qui divergent, aux réticences de témoigner, à la pudeur, à la tristesse, à la tendresse, aux manques.

"Qu'avais-je imaginé? Que je pouvais raconter l'enfance de Lucile à travers une narration objective, omnisciente et toute-puissante? Qu'il me suffisait de puiser dans le matériau qui m'avait été confié et faire mon choix, mon "petit marché"? Mais de quel droit?
Sans doute avais-je espéré que, de cette étrange matière, se dégagerait une vérité. Mais la vérité n'existait pas. Je n'avais que des morceaux épars et le fait même de les ordonner constituait déjà une fiction. Quoi que j'écrive, je serais dans la fable. Comment avais-je pu imaginer, un seul instant, pouvoir rendre compte de la vie de Lucile? [...] toute tentative d'explication est vouée à l'échec. Ainsi devrais-je me contenter d'en écrire des bribes, des fragments, des hypothèses."

J'ai trouvé cette histoire aussi développée que pudique. On apprend énormément de choses sur la vie de Lucile mais de manière discrète, je n'ai pas eu de sentiment d'intrusion ou de voyeurisme. On se sent spectateur du passé d'une femme tourmentée. 
Delphine de Vigan dresse un portrait délicat de la femme centrale de sa vie, emprunt de réalisme, de véracité, sans illusions

C'est un livre qui nous fais nous interroger sur beaucoup de sujets différents, tels que la/les maladies, leurs gestion, les relations familiales, les influences qu'elles peuvent avoir, le rapport à la mort, l'amour. C'est dense, ça se digère lentement.

Les mérites qu'on m'avait vanté de la plume de Delphine de Vigan étaient amplement justifiés. Son écriture est à la fois poétique et directe, poignante et onirique. Elle a une façon d'émouvoir le lecteur sans pour autant l'apitoyer sur son sort. L'écriture est recherchée, les émotions sont très bien décrites.  

Je trouve remarquable le travail de l'auteur autour de ce livre, autant dans la recherche, le rassemblement d'informations que dans l'introspection. Je trouve très courageux de dévoiler aux yeux de tous le parcours hors norme et difficile d'une personne qu'on aime, surtout quand en découle forcément l'exposition d'une partie de sa propre vie et de celle des membres de la famille. Les risques de rejet, d'incompréhension, de colère de leur part sont bien réels et constituent une limite que beaucoup de gens ne seraient pas prêts à franchir.

J'ai des difficultés à trouver les mots pour décrire mon ressenti global sur cette lecture. C'est le genre de roman qui ne vous laisse pas indifférent et auquel vous aller repenser longtemps. L'aspect biographique est d'autant plus difficile à "critiquer", comme le dit l'auteure au sujet de sa mère, de quel droit va t-on porter un jugement sur la vie, les choix de quelqu'un ?

Je vous le conseille vivement si vous aimez les histoires de famille, les livres qui vous font vous questionner, vous hypnotisent et vous laissent forcément une trace, comme les différents événements ont pu le faire sur la vie de Lucile. 

10 commentaires:

  1. Etant un admirateur inconditionnel de l'oeuvre de Jean Rouaud ("des hommes illustres", "pour vos cadeaux"...), je ne peux que céder devant tant d'enthousiasme. C'est un sujet qui me passionne et tu décris admirablement les enjeux qui semblent au coeur de ce roman. En général, je m'aperçois que ce que je lis sur les blogs ou les suivis-lectures m'influence assez peu dans mes choix... Mais dans ce cas précis, tu as trouvé les bons mots pour transmettre ton affection envers ce roman ! Je vais le lire... et je regrette déjà l'édition de France loisirs que j'ai raté ^^

    DocteurManhattan

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    1. Merci beaucoup, ça me fait vraiment très plaisir !
      J'espère que tu ne seras pas déçu !
      je guetterais ton avis sur Livraddict :)

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  2. Je n'ai jamais lu de roman de Delphine de Vigan je n'ai jamais osé me lancer, il faudrait pourtant :)!

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    1. Oui je te conseilles celui-ci, c'était le premier pour moi et il m'a donné envie de lire les autres :)

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  3. Ta chronique me donne envie à mon tour de lire ce livre. On ressent dans tes mots le plaisir que tu as pris avec cette lecture.

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    1. Merci beaucoup, j'avais peur de ne pas mettre les bons mots sur ce livre !
      J'espère qu'il te plaira si tu te lances :)

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  4. Tu me donnes envie de le lire ! Même si je ne suis pas une grande fan des livres contemporains en général, ta chronique me donne envie de plonger dedans et de découvrir cette biographie.

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    1. Je suis ravie de te donner envie !
      J'espère que tu aimeras :)

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  5. Je ne l'ai toujours pas m'y, mais mea mère me l'a prêté, fric je devrais m'y mettre sous peu...

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    1. J'espère qu'il te plaira, c'est vraiment une belle lecture selon moi.

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